Passeurs de mémoire
de la Shoah
Ginette Kolinka Florence Schulmann Joseph Weismann Rosette Wielblad
Les uns ont été déportés, les autres sont nés dans les camps ; certains ont été arrêtés et conduits au Vél d’Hiv, quand d’autres ont passé des années à fuir de cachette en cachette ; les uns ont finalement été libérés, d’autres se sont évadés après avoir traversé une forêt de barbelés. Tous sont des survivants juifs de la Shoah. Il faut les entendre.
« Ne jamais accepter l’inacceptable »
Joseph Weismann
Arrêté à l’âge de 11 ans, conduit au Vél d’Hiv puis déporté au camp de Beaune-la-Rolande, Joseph Weismann, 91 ans aujourd’hui, est parvenu à s’évader en traversant six heures durant une forêt de barbelés. Seul survivant de sa famille, il nous raconte son histoire et nous invite à « ne jamais accepter l’inacceptable ».
« Joseph Weismann, né le 19 juin 1931, membre de l’humanité. »
Depuis plus de dix ans, Joseph Weismann se rend dans les collèges et les lycées de France pour raconter son histoire. « N’acceptez jamais l’inacceptable », répète-t-il aux élèves, inlassablement.
« Je n’avais pas envie d’exposer devant les autres mes plaies et mes blessures. »
Joseph n’aurait jamais raconté son histoire s’il n’avait pas rencontré Simone Veil. Un jour, à l’occasion d’une commémoration, elle l’invite à « prendre part au devoir de mémoire » et à transmettre son « expérience » aussi souvent que possible. Malgré l’épreuve que cela représente pour lui (« chaque témoignage est une épreuve, comme à la première fois », dit-il), Joseph décide alors de ne plus jamais se taire. « J’ai commencé, et voyez je continue. »
« Avec l’étoile, là, tout était clair. »
Le petit Joseph a d’abord vu écrit sur la porte du square où il jouait avec ses copains : « Interdit aux juifs et aux chiens. » Puis sont apparus des affichages à l’entrée des magasins qui interdisaient aux juifs de se présenter avant 11 heures (quand il ne restait plus rien à vendre sur les étalages). Quand le port de l’étoile a été imposé, son père lui en a cousue une sur son blouson, lui défendant de la « cacher avec [s]on cartable, sinon [ils iraient] en prison ». La première fois que Joseph est entré dans sa classe avec, personne n’a rien dit. « Je croyais que je n’étais pas comme les autres, mais finalement, ça n’a choqué personne. »
« Un autobus nous attendait. Direction le Vél d’Hiv. »
Il était midi quand la police a débarqué dans l’appartement pour arrêter les sept membres de la famille Weismann, et les emmener au Vél d’Hiv. « Maman avait préparé des radis. Il y avait des radis roses sur la table. C’est ma dernière image. »
« Nous sommes le 16 juillet 1942. »
Le Vél d’Hiv c’est « un monde fou qui débarque des autobus », « un mur de bruits incessants », « une chaleur terrible », « ça pue la merde ». À son arrivée, le petit Joseph se met dans une bulle. « À ce moment-là, je me retire de l’existence. »
« Le voyage a été interminable. »
Après cinq jours au Vél d’Hiv, entassées comme des bêtes, les familles sont conduites à la gare d’Austerlitz et parquées dans des wagons à bestiaux, direction Beaune-la-Rolande. « C’est l’arrivée au camp. »
« C’est la journée la plus épouvantable de ma vie, ça. »
Un matin, les familles sont violemment séparées : les autorités françaises de Beaune-la-Rolande décident de déporter les adultes et les adolescents, sans les enfants. Ils seront près de 4 000 à rester seuls. « Ce que j’ai vécu a été tellement insoutenable que j’ai décidé de m’évader, dès le soir même. J’ai voulu foutre le camp de là-dedans. »
« En fait, il y avait une révolte en moi. »
Révolté jusqu’au plus profond de lui-même, Joseph n’a plus qu’une seule idée en tête : s’évader du camp coûte que coûte. Avec l’un de ses camarades, Joseph Kogan, la peau sur les os et sans aucune préparation ni matériel, ils tentent de franchir la forêt de barbelés qui encercle le camp. « Je pense qu’on y est restés entre cinq et six heures. Peut-être même plus. »
« À partir de là, vous êtes emporté par le tourbillon de la vie. »
Joseph a fini par accepter que ses parents ne reviendraient pas. Il avait 23 ans.
À partir de là, il a construit sa vie en mettant le passé « de côté ». Pour le reste, « Inchallah ! » conclut-il.
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Passeurs de mémoire de la Shoah
Ginette Kolinka Florence Schulmann Joseph Weismann Rosette Wielblad
Les uns ont été déportés, les autres sont nés dans les camps ; certains ont été arrêtés et conduits au Vél d’Hiv, quand d’autres ont passé des années à fuir de cachette en cachette ; les uns ont finalement été libérés, d’autres se sont évadés après avoir traversé une forêt de barbelés. Tous sont des survivants juifs de la Shoah. Il faut les entendre.
« Ne jamais accepter l’inacceptable »
Joseph Weismann
Arrêté à l’âge de 11 ans, conduit au Vél d’Hiv puis déporté au camp de Beaune-la-Rolande, Joseph Weismann, 91 ans aujourd’hui, est parvenu à s’évader en traversant six heures durant une forêt de barbelés. Seul survivant de sa famille, il nous raconte son histoire et nous invite à « ne jamais accepter l’inacceptable ».
« Joseph Weismann, né le 19 juin 1931, membre de l’humanité. »
Depuis plus de dix ans, Joseph Weismann se rend dans les collèges et les lycées de France pour raconter son histoire. « N’acceptez jamais l’inacceptable », répète-t-il aux élèves, inlassablement.
« Je n’avais pas envie d’exposer devant les autres mes plaies et mes blessures. »
Joseph n’aurait jamais raconté son histoire s’il n’avait pas rencontré Simone Veil. Un jour, à l’occasion d’une commémoration, elle l’invite à « prendre part au devoir de mémoire » et à transmettre son « expérience » aussi souvent que possible. Malgré l’épreuve que cela représente pour lui (« chaque témoignage est une épreuve, comme à la première fois », dit-il), Joseph décide alors de ne plus jamais se taire. « J’ai commencé, et voyez je continue. »
« Avec l’étoile, là, tout était clair. »
Le petit Joseph a d’abord vu écrit sur la porte du square où il jouait avec ses copains : « Interdit aux juifs et aux chiens. » Puis sont apparus des affichages à l’entrée des magasins qui interdisaient aux juifs de se présenter avant 11 heures (quand il ne restait plus rien à vendre sur les étalages). Quand le port de l’étoile a été imposé, son père lui en a cousue une sur son blouson, lui défendant de la « cacher avec [s]on cartable, sinon [ils iraient] en prison ». La première fois que Joseph est entré dans sa classe avec, personne n’a rien dit. « Je croyais que je n’étais pas comme les autres, mais finalement, ça n’a choqué personne. »
« Un autobus nous attendait. Direction le Vél d’Hiv. »
Il était midi quand la police a débarqué dans l’appartement pour arrêter les sept membres de la famille Weismann, et les emmener au Vél d’Hiv. « Maman avait préparé des radis. Il y avait des radis roses sur la table. C’est ma dernière image. »
« Nous sommes le 16 juillet 1942. »
Le Vél d’Hiv c’est « un monde fou qui débarque des autobus », « un mur de bruits incessants », « une chaleur terrible », « ça pue la merde ». À son arrivée, le petit Joseph se met dans une bulle. « À ce moment-là, je me retire de l’existence. »
« Le voyage a été interminable. »
Après cinq jours au Vél d’Hiv, entassées comme des bêtes, les familles sont conduites à la gare d’Austerlitz et parquées dans des wagons à bestiaux, direction Beaune-la-Rolande. « C’est l’arrivée au camp. »
« C’est la journée la plus épouvantable de ma vie, ça. »
Un matin, les familles sont violemment séparées : les autorités françaises de Beaune-la-Rolande décident de déporter les adultes et les adolescents, sans les enfants. Ils seront près de 4 000 à rester seuls. « Ce que j’ai vécu a été tellement insoutenable que j’ai décidé de m’évader, dès le soir même. J’ai voulu foutre le camp de là-dedans. »
« En fait, il y avait une révolte en moi. »
Révolté jusqu’au plus profond de lui-même, Joseph n’a plus qu’une seule idée en tête : s’évader du camp coûte que coûte. Avec l’un de ses camarades, Joseph Kogan, la peau sur les os et sans aucune préparation ni matériel, ils tentent de franchir la forêt de barbelés qui encercle le camp. « Je pense qu’on y est restés entre cinq et six heures. Peut-être même plus. »
« À partir de là, vous êtes emporté par le tourbillon de la vie. »
Joseph a fini par accepter que ses parents ne reviendraient pas. Il avait 23 ans.
À partir de là, il a construit sa vie en mettant le passé « de côté ». Pour le reste, « Inchallah ! » conclut-il.
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